1995 | 2016 | 2022 | ||||
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en euros | en années de RDB | en euros | en années de RDB | en euros | en années de RDB | |
Actifs non financiers (a) dont | 2 173 | 2,9 | 7 395 | 5,5 | 10 341 | 6,3 |
Construction | 1 578 | 2,1 | 3 721 | 2,7 | 4 898 | 3,0 |
Objets de valeur | 44 | 0,1 | 170 | 0,1 | 258 | 0,2 |
Terrains | 455 | 0,6 | 3 431 | 2,5 | 5 102 | 3,1 |
Actifs financiers (b) dont | 1 746 | 2,3 | 5 101 | 3,8 | 6 249 | 3,8 |
Numéraire et dépôts | 672 | 0,9 | 1 359 | 1,0 | 1 931 | 1,2 |
Actions et parts de fonds d’investissement | 488 | 0,7 | 1 393 | 1,0 | 1 802 | 1,1 |
Assurances-vie et autres | 379 | 0,5 | 1 994 | 1,5 | 2 000 | 1,2 |
Passif financier (c) | 499 | 0,7 | 1 511 | 1,1 | 1 974 | 1,2 |
Valeur nette (a+b-c) | 3 420 | 4,6 | 10 985 | 8,1 | 14 616 | 8,9 |
Sources : INSEE, calculs OFCE |
Depuis 1995, la valeur nominale du patrimoine (net, (actif moins passif) ) des ménages en France a été multipliée par plus de quatre, et ce malgré plusieurs crises majeures (bulle internet, subprimes, dettes souveraines, covid, énergie). Ramenée à l’évolution du revenu des ménages (RDB), la valeur nette globale du patrimoine des ménages est passée de 4,6 années en 1995 à 8,9 en 2022, soit un quasi-doublement (tableau 1).
Sur cette augmentation de 4,3 années de revenu, près de 80 % est liée à l’appréciation de la valeur des constructions et des terrains. Environ un tiers de la hausse de la valeur est due aux actifs financiers, dont 30 % (du tiers,n soit 9% du total) est attribuable à l’augmentation de la valeur des actions et fonds d’investissement. La hausse de l’endettement des ménages sur la période contribue à réduire de 12 % la valeur nette patrimoniale.
Entre 2016 et 2022, la valeur patrimoniale nette a continué à croître de près d’une année de revenu (0,8 année de RDB précisément). Sur cette période, cette hausse est due à l’augmentation de la valeur des actifs non financiers (construction et terrains). La valeur des actifs financiers, rapportée au revenu, est stable sur la période. Cette stagnation entre 2016 et 2023 du patrimoine financier peut surprendre en raison de la sur-épargne accumulée depuis 2020 (environ 240 milliards d’euros1). Cela s’explique notamment par l’épisode inflationniste depuis la fin 2021 avec un effet de « taxe inflationniste » qui réduit la valeur réelle des patrimoines financiers2.
1 Pour plus d’informations, voir E.Heyer et X.Timbeau (dirs) (2024) «L’heure des comptes. Perspectives 2024-2025 pour l’économie française », Policy Brief de l’OFCE, n°126, avril.
2 Pour plus d’informations, voir O. Jullien de Pommerol, P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro (2024) « De la crise Covid au choc inflationniste : une analyse macro/micro du pouvoir d’achat en France », Policy Brief de l’OFCE, n° 124, février.
Cette forte hausse du patrimoine des ménages depuis près de 30 ans, principalement en raison de la forte revalorisation du foncier, est déconnectée de la dynamique des revenus des ménages sur longue période et alimente la hausse des inégalités de patrimoine.
1 Une dynamique tirée par la valorisation de l’immobilier
En regroupant les évolutions en deux principaux facteurs, le premier lié au flux d’épargne (net de la dépréciation du capital) et le second à la revalorisation de la valeur des actifs dont on retranche la « taxe inflationniste » on peut comprendre la dynamique de ces évolutions. Sur les 4,3 années de revenu de hausse du patrimoine net des ménages entre 1995 et 2022, 60 % est lié à l’accumulation d’actifs (nette de la dépréciation et de la variation de la dette) et 40 % à la revalorisation réelle du prix des actifs (tableau 2). Et dans l’accumulation d’actifs nette des dettes (en considérant que la hausse de la dette des ménages est essentiellement immobilière) alors plus de 80 % du flux d’épargne net est financier, tiré très largement par la hausse des produits d’assurance-vie et les numéraires et dépôts.
En revanche, la hausse de la valeur des actifs (relative au revenu) est due uniquement à l’appréciation de la valeur réelle du foncier, représentant un gain patrimonial de 2 années de revenu des ménages entre 1995 et 2022. En revanche, la valeur réelle des actifs financiers s’est réduite sur la période, représentant une perte de -0,7 année de revenu en raison de la baisse de valeur réelle des numéraires et dépôts et dans une moindre mesure des assurances-vie. Au sein des actifs financiers, les actions et parts de fonds d’investissement sont les seuls produits à générer un gain réel au cours des 27 dernières années, représentant 0,3 année de revenu. A noter, qu’au niveau macroéconomique, pour les seules actions cotées (sous composante des actions et parts de fonds d’investissement), leur appréciation réelle représente 0,05 année de revenu.
En années de RDB | Flux d'épargne nette1 | Variation de la valeur2 |
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Actifs non financiers (a) dont | 1,3 | 2,1 |
Construction | 0,8 | 0,1 |
Objets de valeur | 0,0 | 0,1 |
Terrains | 0,5 | 2,0 |
Actifs financiers (b) dont | 2,1 | −0,7 |
Numéraire et dépôts | 0,7 | −0,5 |
Actions et parts de fonds d’investissement | 0,2 | 0,3 |
Assurances-vie et autres | 1,0 | −0,3 |
Passif financier (c) | 0,9 | −0,4 |
Valeur nette (a+b-c) | 2,5 | 1,7 |
Sources : INSEE, calculs OFCE |
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1 Epargne brut moins la dépréciation du capital (construction) et les autres changements de volume et ajustements. | ||
2 Calculée comme la variation de la valeur nominale, hors flux, moins la dépréciation de la valeur liée à l’évolution des revenus. |
2 Les inégalités de patrimoine
Selon l’enquête de l’Insee sur les patrimoines de 2017-2018, les 10 % de ménages les plus riches possédaient 46 % du patrimoine brut global (graphique 1). Les 90 % restant de la population se partagent 54 % du patrimoine, et celui-ci est composé, selon nos calculs, à près de ¾ d’immobilier. Pour les 10 % des plus hauts patrimoines, la part de l’immobilier est plus faible (50 % du patrimoine total) et la part liée au professionnel est beaucoup plus élevée (19 % contre 4 % pour les 90 % de ménages du bas de la distribution selon nos calculs).
Revenu disponible | Patrimoine | |||||
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Total | Financier | Professionnel | Immobilier | Autres | ||
0-90% | 1 126 | 8 958 | 2 144 | 352 | 6 449 | 13 |
90-99% | 277 | 4 998 | 967 | 694 | 3 053 | 284 |
99-100% | 236 | 2 638 | 897 | 739 | 791 | 211 |
Total | 1 638 | 16 595 | 4 008 | 1 785 | 10 294 | 507 |
Revenu disponible brut et actifs bruts (hors passif) en milliards d’euros, année 2022 |
Revenu disponible | Patrimoine | |||||
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Total | Financier | Professionnel | Immobilier | Autres | ||
0-90% | 41.0 | 326 | 78.1 | 12.8 | 235 | 0.466 |
90-99% | 101 | 1 820 | 352 | 253 | 1 110 | 103 |
99-100% | 772 | 8 650 | 2 940 | 2 420 | 2 590 | 692 |
Moyenne | 53.7 | 544 | 131 | 58.5 | 337 | 16.6 |
Revenu disponible brut et actifs bruts (hors passif) par ménage, en miliers d’euros, année 2022 |
Si l’on fait un focus sur le top 10 % des plus hauts patrimoines, il ressort d’une part qu’il y a une différence significative entre les 9 premiers centiles et le dernier centile en termes de possession de patrimoine (onglet « détail » du tableau 3). Si chacun des 9 premiers centiles possède en moyenne 3 % du patrimoine brut des ménages en France, le dernier centile en possède à lui seul 16 %. Et au sein de ce dernier centile de patrimoine, la part liée à l’immobilier est faible (30 %) alors que celle liée aux actifs professionnels est élevée (28 %).
La fiscalité sur le patrimoine des ménages (taxe foncière, droits d’enregistrement sur les transactions immobilières, droits de mutation sur les successions et les donations, Impôt sur la Fortune Immobilière), est passée de 1,6 point de PIB en 1995 à 2,6 points de PIB en 2022 (graphique 1), et ce malgré la réforme de l’ISF, en raison du dynamisme des assiettes fiscales immobilières. En revanche, si l’on regarde en fonction de la valeur nette patrimoniale, le taux de taxation apparent est passé de 0,6 % en 1995 à 0,5 % en 2022. Revenir au taux apparent de 1995 augmenterait les recettes fiscales de 13 milliards d’euros, soit plus que le seul rétablissement de l’ISF (estimé à 4,5 milliards d’euros selon France Stratégie).
3 Quelques éléments de conclusion
Au niveau macroéconomique, la hausse de la valeur du patrimoine des ménages en France passe très largement par la forte revalorisation des prix du foncier et par une hausse de l’accumulation d’actifs financiers en direction de l’assurance-vie et des dépôts, en partie pour compenser la perte réelle de ces actifs liée à l’inflation.
L’immobilier représente une très large majorité du patrimoine des 90 % de ménages les moins riches. Le patrimoine immobilier est soumis, pour tous les ménages, à la taxe foncière (25 milliards en 2023) ainsi qu’aux droits d’enregistrement sur les transactions immobilières (19 milliards) et à l’IFI pour les ménages les plus riches (2,3 milliards). Mais au vu de le dynamique de revalorisation des patrimoines depuis 1995 se pose la question la fiscalité des gains réels en capital sur l’immobilier, qui représentent deux années de revenu supplémentaires au cours des 27 dernières années.
La transformation de l’ISF en IFI et la création du Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) ont réduit la fiscalité sur les revenus du capital et supprimé la taxation des hauts patrimoines financier pour des raisons de concurrence fiscale et d’attractivité des capitaux. Leurs rétablissements rapporteraient environ 6 milliards d’euros.
Les actifs professionnels ne sont pas soumis à l’IFI et étaient auparavant exonérés d’ISF. Ils représentent une part importante du patrimoine du dernier centile (plus de 700 milliards d’euros selon nos calculs). Au regard de leur forte concentration dans leur dernier centile de patrimoine, leur intégration dans l’assiette d’un nouvel ISF accroîtrait fortement, à court terme, le rendement de ce nouvel ISF. Mais à plus long terme, cela risquerait de conduire à un risque de fuite des plus gros patrimoines dans l’Union Européenne qui favorise la libre circulation des capitaux et où le taux de fiscalisation du capital est faible. Selon l’OCDE, le taux d’imposition du patrimoine en France (3,7 % du PIB pour ménages et entreprises) est le plus élevé de l’Union Européenne, avec le Luxembourg, loin devant les Pays-Bas (1,5 % du PIB) et l’Allemagne (1,1 % du PIB). Cela plaide notamment pour une harmonisation fiscale plus poussée sur la fiscalité du capital au niveau européen, avec un niveau d’imposition minimum. Ainsi, le taux d’imposition sur le patrimoine est à 2,9 % du PIB aux Etats-Unis, 3,8 % en Corée du Sud et 4 % au Royaume-Uni.
Cette forte hausse du patrimoine des ménages depuis près de 30 ans, principalement en raison de la forte revalorisation du foncier, est déconnectée de la dynamique des revenus des ménages sur longue période. Le système fiscal français peine à capter ce flux et à contrôler les inégalités qui en découlent.