Par

Hélène Périvier

Muriel Pucci

Les différents programmes ne sont pas particulièrement développés en matière de politiques familiales. Les quelques mesures annoncées donnent une orientation générale marquée du sceau de l’idéologie politique propre à chaque camp : conservateur et nataliste avec une augmentation du quotient familial et des allocations familiales du côté de l’extrême droite et de la droite; universaliste et porté sur le renforcement des services publics du côté du Nouveau Front Populaire.

1 Le Rassemblement National

Les propositions du RN s’inscrivent clairement dans un objectif nataliste et nationaliste à la manière des mesures prises par Victor Orban en Hongrie dans les années 2010. On retient notamment deux mesures phares : la demi-part fiscale supplémentaire au 2e enfant et Ia création d’un « prêt public à taux zéro transformé en subvention pour les couples qui ont un troisième enfant ». Il s’agit d’encourager les couples n’ayant qu’un seul enfant à en avoir un deuxième ou un troisième enfant.

1.1 Demi-part supplémentaire au deuxième enfant:

Dans l’impôt sur le revenu, les premier et deuxième enfants ouvrent droit à une demi-part fiscale chacun, alors qu’un troisième enfant (ou enfant de rang supérieur) ouvre droit à une part fiscale entière. Ainsi un couple marié ayant deux enfants dispose de 3 parts fiscales, un couple avec 3 enfants dispose de 4 parts fiscales, soit:

  • 2 parts au titre du quotient conjugal (une pour chaque adulte dans le cadre du mariage), dont l’avantage n’est pas plafonné.

  • 1 part au titre des enfants pour une famille avec deux enfants (soit une demi-part par enfant) et 2 parts pour un couple avec trois enfants.

La proposition du RN consiste à ajouter une demi-part au titre du deuxième enfant1. Cette mesure impliquerait donc une réduction d’impôt pour l’ensemble des familles imposables ayant deux enfants ou plus. Elle aurait pour effet de relever les seuils d’entrée dans chaque tranche de l’impôt sur le revenu, de façon plus marquée pour les dernières tranches (tableau 1). Cette redistribution fiscale se ferait donc au détriment de l’équité verticale avantageant les ménages des derniers déciles de niveau de vie2.

1 Considérant que rien n’est précisé en matière de plafonnement, la règle en vigueur s’appliquerait, et donc cette demi-part serait plafonnée à 1759 €.

2 Pour plus de détails sur le caractère anti-redistributif du quotient familial voir André et Sireyjol, 2021)

Alors que la réforme ne réduirait pas le montant d’impôt pour un couple avec 2 enfants gagnant 5 000 €, il le réduirait de 63 € pour un couple gagnant 8 000 € et de 147 € par mois pour un couple gagnant 12 000 €.

Tableau 1. Points d’entrée dans différentes tranches de l’impôt sur le revenu en part de SMIC (salaires des 2 conjoints en €/mois)
Couple 2 enfants Couple 3 enfants
Seuils 2024 1/2 part supp. 2024 1/2 part supp.
tranche à 11% 3 900 4 400 5 000 5 500
tranche à 30% 7 700 9 000 10 300 11 600
tranche à 41% 21 000 21 00 27 600 30 900
tranche à 45% 43 900 51 000 58 100 65 200
seuil de plafonnement 6 200 6 800 7 300 7 800

Pour un couple marié, les deux conjoints ont le même revenu.
Source : Maquette Sofi, 2023.

Graphique 1. Répartition des gains d’impôt issus de l’introduction d’une demi-part supp au 2ème enfant
Graphique 2. Répartition des gains d’impôt issus de l’introduction d’une demi-part supp au 2ème enfant

Le coût de cette mesure pour les finances publiques serait de l’ordre de 2,6 mds d’ €. La moitié de cette dépense fiscale irait aux familles appartenant aux 20% des ménages les plus riches (graphique 1), alors qu’elles ne représentent que 9% des familles avec enfants (ces estimations ont été réalisées à partir du modèle de micro-simulation Ines de la Insee-Drees-Cnaf, calculs OFCE).

1.2 La création d’un « prêt public à taux zéro transformé en subvention pour les couples qui ont un troisième enfant ».

Etant donné le flou de cette mesure, il est impossible d’en chiffrer le coût.

Enfin, Jordan Bardella réaffirme une orientation de la politique familiale vers un droit aux allocations familiales réservées aux « Français ». Des propositions similaires ont été discutées dans le cadre du vote de la loi du 26 janvier 2024”pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration”, le HCFEA a émis un avis documenté sur cette question auquel nous renvoyons.

2 Les Républicains

Les propositions en direction des familles du programme de la droite hors alliance avec le RN se concentrent elles aussi sur les prestations et le quotient familial (voir le contre-budget des LR). Contrairement aux propositions du RN, l’objectif n’est pas tant de favoriser les familles nombreuses dans une optique ouvertement nataliste (même si certaines mesures sont affichées comme un outil de lutte contre la baisse du nombres de naissance), mais de soutenir des familles des classes sociales aisées dont les droits aux prestations familiales ont été réduits par la modulation des allocations familiales, et dont les réductions d’impôt sur le revenu ont été amoindries par la baisse du plafond du quotient familial. On retient principalement trois propositions :

2.1 La suppression de la modulation des allocations familiales selon les ressources du ménage

Depuis 2012, le montant des allocations familiales (AF) dépend des ressources du foyer (tableau 1). Cette modulation s’opère sur 3 tranches correspondant respectivement au versement de 100% des AF, 50% des AF et 25% des AF. La première tranche concerne 90% des familles de deux enfants ou plus. La proposition consiste à verser le montant de la tranche 1 (soit 134 € par mois hors majoration pour âge des enfants) aux 10% des familles qui perçoivent un montant réduit d’AF (5% pour la tranche 2 et 5% pour la tranche 3, dossier statistique des prestations familiales, 2022). Notre évaluation conduit à un coût budgétaire de 630 millions d’€ (sans tenir compte des majorations pour âge des enfants).

Tableau 2. Montant des allocations familiales selon le nombre d’enfants et le niveau de ressources
Nbre d'enfants Montant AF 100% Montant AF 50% Montant AF 25% Seuil de revenu
Sortie des AF 100% Sortie des AF 50%
2 134 €/mois 67 €/mois 34 €/mois 5,1 SMIC 6,8 SMIC
3 307 €/mois 153 €/mois 77 €/mois 5,5 SMIC 7,2 SMIC
4 479 €/mois 240 €/mois 120 €/mois 5,9 SMIC 7,6 SMIC
5 651 €/mois 326 €/mois 163 €/mois 6,4 SMIC 8,1 SMIC

Les familles n’ayant qu’un seul enfant à charge ne sont pas éligibles aux AF.
Source : Comptes de la sécurité sociale 2022.

2.2 Ouverture du droit aux allocations familiales dès le premier enfant.

Selon l’Ined, en 2019 on comptait 3,48 millions de familles avec un seul enfant, nous supposons que les allocations familiales qui leur seraient versé seraient de 67 €/mois, soit la moitié du montant de la tranche 1 versé aux familles de 2 enfants (sans modulation des AF puisqu’elle est supprimée dans le programme LR). Nous estimons le coût de cette mesure à environ 2,8 milliards d’€3.

3 La Cour des comptes estimait le coût de l’ouverture du droit aux AF au 1er enfant à 2,1 milliards d’ € en 2017( Cour des comptes, 2017, (p.524).

2.3 Augmentation du plafond du quotient familial de 1000 .

Le plafond du quotient familial (décrit plus haut) a été introduit en 1992, et abaissé sous la présidence de François Hollande4. Notons que le quotient conjugal n’est pas plafonné5. L’avantage fiscal qu’un ménage peut retirer du quotient familial est plafonné à 1 759 € par demi-part (en 2024)) soit 1 759 € pour un ménage ayant un enfant, 3 518 € pour un ménage ayant deux enfants et 7 094 € pour un ménage ayant trois enfants puisque ce dernier ouvre droit à une part fiscale entière.

4 Pour plus de détails sur l’évolution de la politique familiale voir Madec, Pucci et Rioux, 2021.

5 Pour plus de détails sur ce point voir Allègre, Pucci, Périvier, 2021.

6 Pour plus de détails sur le caractère anti-redistributif du quotient familial voir André et Sireyjol, 2021.

La mesure proposée par LR consiste à relever le niveau du plafond et donc réduire les recettes fiscales issues de l’impôt sur le revenu en augmentant l’avantage fiscal associé au quotient familial d’environ 1 000€ pour atteindre 2 750 € par demi part fiscale. Cela consiste à réduire l’impôt des familles dans une optique d’équité horizontale. L’avantage serait d’autant plus élevé que les revenus du foyer fiscal le sont jusqu’à la saturation de ce nouveau plafond. Cette redistribution se ferait donc au détriment de l’équité verticale6.

Nous évaluons le coût de cette mesure pour les finances publiques serait d’envrion 3,9 mds d’€, soit 2,1 mds d’€ de plus que l’estimation présentée sur le site des Républicains (p.10). La moitié de la dépense fiscale irait aux 10% des familles dont le niveau de vie se situe dont le niveau de vie est le plus élevé alors qu’elles ne représentent que 8% des familles avec enfant(s) (estimation réalisée à partir du modèle de micro-simulation Ines de la Insee-Drees-Cnaf, calculs OFCE).

Graphique 3. Répartition des gains d’impôt issus du relèvement du plafond du QF de 1000 euros

L’ensemble des mesures socio-fiscales en faveur des familles proposées par LR (AF au 1er enfant, fin de la modulation des AF et relèvement du plafond du quotient familial de 1 000 €) conduirait à une dépense fiscale d’environ 7,3 Mds € en majorité redistribuée vers les familles se situant dans les derniers déciles de niveau de vie.

3 Ensemble pour la République

Les ambitions en matière de politiques familiales ne sont pas développées dans le programme du groupe Ensemble pour la République. Les modalités de déploiement du service public de la petite enfance et d’amélioration de sa qualité mis en avant dans le cadre de la loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023, n’est pas précisé. Le programme reprend la création d’un « congé de naissance » de 3 mois en 2025 « mieux indemnisé que le congé parental actuel ». Dans les premières discussions, la rémunération devait s’élever à 50 % du salaire passé, avec un plafonnement au niveau des indemnités journalières de la sécurité sociale.

Le coût dépendra du succès que rencontrerait ce nouveau congé. Les effets en matière de réduction des inégalités femmes hommes dépendraient du recours des pères, des modalités précises de mise en œuvre. Si le congé est transférable entre les deux parents, il serait très probablement pris majoritairement par les mères et donc n’aurait pas d’effet sur le partage des tâches au sein des couples. De même, s’il peut être pris en même temps par les deux parents, ses effets sur l’égalité seraient limités.

4 Le Nouveau Front populaire

Les propositions du NFP en matière de politiques familiales se concentrent sur une extension et une garantie de l’offre de service public en direction des familles plutôt que sur des mesures de nature socio-fiscale. Notons néanmoins que la revalorisation des allocations logement prévue dans le programme constituerait une redistribution importante en faveur des familles des premiers déciles de niveau de vie. Outre le déploiement d’un service public d’accueil du jeune enfant garantissant l’accès à chaque famille à un mode de garde adapté, nous retenons la mesure suivante :

  • gratuité de l’école incluant la cantine scolaire, le péri-scolaire, les fournitures scolaires, les sorties scolaires, et le transport.

Selon le Ministère de l’éducation nationale, les familles dépensent en moyenne 893 € par an au titre de la scolarisation de leur enfant. Cette dépense est de 681 €/an pour un enfant scolarisé dans le primaire, 811 € pour un collégien et 1 363 €/an pour un lycéen7. Les frais de cantines représentent près de la moitié de cette dépense. Si l’on considère que cette mesure ne s’appliquerait que pour les élèves scolarisés dans le secteur public, le coût serait de l’ordre de 7,4 milliards d’€ par an (tableau 3). Cette mesure s’inscrit dans une perspective universaliste visant à renforcer un service public bénéficiant à l’ensemble des familles avec enfants en âge d’être scolarisés. Le financement par un impôt progressif garantit le caractère redistributif de cette approche tant d’un point de vue de l’équité verticale qu’horizontale (puisqu’il s’agit également d’une redistribution des ménages sans enfants vers ceux avec enfant(s).

7 Les données sont issues du Ministère de l’Education nationale pour l’année 2015, nous avons appliqué le cœfficient de transformation de l’euro de l’Insee pour se ramener à une dépense en € 2023.

Tableau 3. Dépenses des familles au titre de la scolarisation de leur enfant, par enfant et par an
Niveau de scolarité 1er degré Collège Lycée
Total des dépenses 681 811 1363
Cantine 341 405 681
Fournitures 82 235 458
Sorties scolaires 59 59 59
Transports 59 59 117
Autres 188 53 47
Total à prendre en charge 493 758 1120
Nbre d'élèves en milliers (secteur public) 6340 2596 1788
Coût en mds d'€ 3,1 1,96 2,35

Estimations disponibles sur le site de l’éducation nationale pour 2015, exprimées en € 2023.
Source : Ministère de l’Education Nationale